Le Contre-Amiral officialise le quatrième putsch de l'histoire de Fidji
SUVA, 5 décembre (Flash d'Océanie) - Le Contre-Amiral Franck Bainimarama, commandant en chef de l'armée fidjienne, a annoncé mardi qu'il venait de prendre le pouvoir à compter de 18h00 locales (6h00 GMT), officialisant ainsi l'avènement du quatrième coup d'Etat dans la jeune histoire de cet archipel du Pacifique Sud, devenu indépendant en 1970.
S'exprimant au cours d'une conférence de presse, M. Bainimarama a annoncé que désormais, l'armée avait pris le contrôle de l'autorité exécutive de cet archipel et de facto pris la place du Président de la République Ratu Josefa Iloilo.
Le chef militaire a annoncé la nomination d'un Dr Jona Senilaqakali en tant que chef d'un gouvernement intérimaire, ainsi que son intention de demander au Grand Conseil des Chefs (habilité à nommer le Président de la République), lors d'une réunion la semaine prochaine, de réélire M. Iloilo. M. Iloilo nommerait ensuite, selon M. Bainimarama, un gouvernement intérimaire.
Le chef militaire a ensuite évoqué la possibilité d'élections, "conformément à la Constitution", après qu'un recensement ait été effectué à Fidji.
Dans l'intérim, tous les ministres du gouvernement renversé disposeraient d'un mois pour libérer leurs bureaux et recevront un mois de traitement comme indemnités, a-t-il ajouté.
Expliquant son geste, qui s'est caractérisé par une prise de contrôle méthodique de l'archipel depuis 24 heures, M. Bainimarama a invoqué la "doctrine de nécessité".
Il a annoncé la formation d'une force conjointe de sécurité, qui regrouperait la police et l'armée et patrouillerait l'archipel afin d'assurer la sécurité.
Toutefois, il a exclu la mise en place d'un couvre-feu et a assuré que les droits des citoyens seront respectés.
"L'armée fidjienne croit en l'état de droit et respecte la Constitution", a-t-il déclaré tout en invoquant des circonstances "inhabituelles et exceptionnelles".
"Je demande à tous de rester calmes et de continuer à vaquer à leurs occupations", a-t-il poursuivi en assurant que la priorité de l'armée, à ce stade, était d'assurer la sécurité.
M. Qarase, Premier ministre désormais déposé, est assigné à résidence depuis la mi-journée (GMT+12).
S'adressant à la communauté internationale, le chef militaire a exhorté les partenaires de développement de Fidji, qui ont d'ores et déjà fermement condamné toute action militaire, de "comprendre" la situation de Fidji.
Réactions de l'Australie et la Nouvelle-Zélande
Mardi à la mi-journée, le Premier ministre Laisenia Qarase se déclarait persuadé que le Président fidjien, invoquant la "doctrine de nécessité", avait prononcé la dissolution du Parlement, ouvrant ainsi la voie à la formation d'un gouvernement intérimaire choisi par l'armée.
Cette annonce avait alors provoqué des réactions immédiates de la part des puissances voisines, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, dont les deux gouvernements condamnaient immédiatement l'armée fidjienne, mais aussi le Président Iloilo, accusant implicitement ce dernier de complicité. "M. Qarase s'est comporté avec un grand courage. J'aimerais pouvoir en dire autant du Président de Fidji, qui ne semble pas avoir défendu la Constitution de ce pays", a déclaré mardi John Howard, Premier ministre australien.
Par ailleurs, son ministre des affaires étrangères, Alexander Downer, a indiqué mardi que l'Australie mettrait en place des sanctions, et en premier lieu l'annulation de sa coopération militaire avec Fidji "au moment approprié, lorsqu'il deviendra clair que le Premier ministre de Fidji n'est plus le Premier ministre de Fidji".
M. Downer a expliqué cette posture par le fait que "nous assistons à un coup d'État en cours d'exécution, j'appelle cela un coup État rampant, qui évolue d'heure en heure, de jour en jour".
Helen Clark, Premier ministre de Nouvelle-Zélande, a elle aussi déclaré au Parlement de son pays que selon ses informations, le Président fidjien Ratu Josefa Iloilo avait maintenant dissout le Parlement fidjien et avait de facto entériné la prise de contrôle du gouvernement par l'armée, ainsi que la mise en place d'une gouvernement intérimaire proposé par les militaires. "J'ai reçu pour avis que ce faisant, le Président avait agi en-dehors de ses pouvoirs constitutionnels en soutenant le renversement par les militaires du Premier ministre démocratiquement élu", a-t-elle déclaré. Helen Clark a aussi annoncé, tout comme l'Australie, le suspension de toute coopération militaire de son pays avec l'armée fidjienne.
Le Premier ministre néo-zélandaise a aussi été la première à comparer la situation fidjienne à un coup "à la thaïlandaise", en référence directe au putsch de l'armée de ce pays qui a eu lieu en septembre dernier avec l'accord implicite du roi, mais n'a fait aucune victime.
Depuis la semaine dernière, la communauté internationale multiplie aussi les messages d'avertissement à l'attention de Fidji, exhortant le chef militaire à faire preuve de retenue et de modération et soulignant les répercussions d'une sortie de la démocratie, y compris au plan de la coopération et de l'aide internationale que ces pays et organisations consacrent à Fidji.
Tour à tour, ce sont notamment l'Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis, l'Union Européenne, les Nations-Unies (y compris son Conseil de Sécurité), ou encore le Forum des Îles du Pacifique qui ont exprimé leur profonde inquiétude quant à la situation à Fidji et ont par avance averti des conséquences d'un putsch, qui placerait une nouvelle fois cet État océanien au ban de la communauté internationale.
Démenti présidentiel
Le Président de la République des îles Fidji, Ratu Josefa Iloilo, avant l'annonce du Contre-Amiral, a démenti mardi tout soutien au putsch militaire en cours dans cet archipel du Pacifique Sud, soulignant que les actes de l'armée étaient "clairement en-dehors de la Constitution, de l'état de droit et de nos idéaux démocratiques".
Dans un bref communiqué relayé par la presse locale, le Chef de l'État fidjien, qui avait ces derniers jours donné une apparence de sympathie aux forces armées fidjiennes et à leur chef, le Contre-Amiral Franck Bainimarama, a souligné qu'il "n'entérine ni ne soutient" les actes de l'armée.
"L'armée a agi contrairement aux souhaits du (Président), qui étaient qu'une solution soit trouvée à cette impasse dans le cadre de la loi".
Un coup d'État annoncé de longue date
M. Bainimarama, dès dimanche, annonçait son intention de mettre en place un gouvernement intérimaire, auquel l'armée 'entendait pas participer, mais choisirait les membres parmi une liste de "candidats".
Le chef militaire affirme depuis le mois dernier que son objectif est de démettre un gouvernement dont il considère qu'il n'a fait, depuis six ans, que poursuivre les objectifs des nationalistes ayant perpétré le putsch de 2000 et que par ailleurs, il tentait encore, par des moyens divers (y compris législatifs), de faire amnistier de hauts personnages pourtant reconnus coupables et condamnés du fait de leur implication dans le putsch d'il y a six ans.
Le syndrome du "héros" devenu justicier ?
S'exprimant depuis Wellington, mardi, Helen Clark a une nouvelle fois condamné les actes de l'armée et de son chef, en soulignant "l'ironie de cette situation".
"M. Bainimarama a été le héros en 2000, contre (le putschiste) George Speight. Mais cela ne justifie en rien les actes d'aujourd'hui", a-t-elle commenté. M. Bainimarama, il y a six ans, avait déclaré la loi martiale pour rétablir l'ordre.
Une fois les principaux meneurs du putsch arrêtés, fin juillet 2000, il rendit le pouvoir à une administration intérimaire conduite par M. Qarase. Un an plus tard, dans le cadre des élections qui consacrèrent le retour de Fidji dans le giron de la démocratie, M. Qarase se maintenait au pouvoir. Le 2 novembre 2000, M. Bainimarama réussissait à mater une mutinerie au Q.G. de l'armée dont l'objectif affiché était de le supprimer physiquement. Les affrontements entre soldats loyalistes et mutins avaient fait huit morts. M. Qarase a été reconduit cette année, lors des législatives de mai 2006.
Prise de contrôle méthodique
Depuis lundi, l'armée des îles Fidji a entamé une série de manœuvres visant à contrôler le pays et son gouvernement. Mardi matin, elle a augmenté la pression en encerclant le siège du gouvernement, tout en annonçant une prochaine arrestation des membres de l'exécutif.
Depuis lundi soir, dans la capitale Suva et sa banlieue, des postes de contrôle ont été érigés par l'armée sur les accès menant à Suva. Des check-points ont aussi été installés autour des principales agglomérations de l'archipel, y compris dans les villes de Nadi (Ouest de l'île principale de Viti Levu, où se trouve aussi l'aéroport international) et de Lautoka.
Lundi, l'armée a pris possession des armes et des munitions de la police (dans la capitale, mais aussi dans les villes de Lautoka, Labasa, Ba et Tavua) et dans la soirée, les soldats commençaient à installer des barrages filtrants dans la capitale et ses abords.
Dès mardi matin, l'armée a entrepris de saisir les véhicules de fonction des membres du gouvernement. Ces véhicules (dont celui du Premier ministre) ont été arrêtés et confisqués, a précisé le commandant de l'armée de terre, le Colonel Pita Driti, tout en promettant que d'ici la fin de la journée de mardi, les véhicules officiels et les téléphones portables de tous les ministres auraient subi le même sort et seront placés sous "protection militaire". Mardi, à la mi-journée, cinq officiers de la marine, en armes, ont aussi pris possession de deux bateaux, une vedette et un patrouilleur de la police nationale, qui mouillaient dans la baie de Walu (Suva).
Fidji, archipel du Pacifique Sud peuplé de près de 900.000 habitants, a connu, depuis son indépendance en 1970, deux putschs en 1987, un en 2000 et le dernier ce 5 décembre 2006.
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